de 2007 à 2012 sur Radio Libertaire - 89.4 MHz en région parisienne et en direct sur internet

C'est le début de la mise en ligne des émissions, ce site va s'enrichir au fur et à mesure, patience, patience ...

Behind 55 - août 2009

Préambule - le 27 juin 2012 :


Ce texte a son histoire, comme souvent les écrits aux naissances s'inscrivant dans un contexte personnel, dans l'urgente nécessité de la narration.
Le cri par l'écrit.
Celui-ci prend le prétexte d'un chiffre incarné, le 55, à la présence obsessionnelle et dans la volonté d'emprise sur le narrateur, en lien avec le ressenti d'une relation vécue avec un pervers narcissique, ici plus spécifiquement son approche prédative. 
Ce texte a été le point de départ d'une pièce radiophonique inachevée à ce jour, une maïeutique sonore reportée des mots ...
Il a par ailleurs plutôt rencontré l'incompréhension de sa signification réelle au-delà de sa charge créative, sinon que par de nombreuses personnes m'ayant fait part de leur expérience en miroir avec la mienne, objets (et non sujets) d'êtres à la pathologie incurable, définie par le corps médical.
La spirale qui leur était imposée ayant pour but ultime, tout en étant source de jouissance sadique pour l'autre, l'anéantissement jusqu'à la mort, symbolique ou réelle. Destination prévue : être mené à l'envie de non-vie 


Il y a plus d'un an, à la suite de sa publication dans une revue, il m'a été demandé d'écrire également "Behind 55" au masculin pour une diffusion multiple numérique afin d'aider d'autres victimes de PN (pervers narcissiques) à appréhender une issue possible à la destruction lente extérieure très spécifique qu'ils ont subie par une forme de catharsis venant dans ce cas de figure du conscient.
Alors l'imaginaire continue sa route, et le songe que l'une ou l'autre de ses versions sexuées arpente silencieusement de nouvelles boites mails, comme infime composant à la reconstruction.
Que celle-ci soit par l'écrit ou autrement ...


_________________________________________________________________________


Je reviens de loin.

D’un voyage sur des terres de pertes de tous repères, proches de l’anéantissement. Du bout du rationnel.

Du bout de moi.

Tout a commencé par son approche, par touches. Je ne l’avais pas remarqué, installée dans ma vie sans houle que j’étais, inconsciente du danger en approche. Il était là, tapi dans l’ombre, à m’épier. Depuis quand ? Je ne sais pas. Certainement depuis longtemps. Mais ce que je sais c’est qu’il attendait son heure pour faire de moi sa nouvelle proie. Il a pris son temps. Pour décrypter mes doutes, sonder mes failles, sentir mes espoirs.

Il est venu à moi il y a un peu plus de 5 mois. Je m’en souviens comme si c’était hier.
Tout est parti d’un mail, juste une photo avec un simple mot « 1 connu » envoyé à 11 :55 :00 exactement. Une heure insolite avec cette répétition de chiffres. Puis dans la même journée, en regardant l’heure à différentes reprises, à nouveau cette étrange coïncidence : 13h55, 18h55, 23h55. Le genre de hasard qui fait sourire. A y repenser, je dois au moins lui reconnaître ça, il a été clair quant à ses intentions lors de cette première approche. 1 connu/inconnu. Comme la promesse que l’inconnu qu’il était, allait devenir un plus-que-connu pour moi. C’était une entrée en matière facétieuse. J’avais à faire à un joueur. Oui mais, de quel type ?

Dès le lendemain, il n’a pas hésité, il est apparu sous de nombreuses formes : en plus des minutes aux heures, un accident de voiture évité de justesse avec une voiture immatriculée XX 551 94, sur le même chemin, coincée dans les embouteillages sur une route droite interminable, perdue dans mes pensées, je lève soudain la tête vers ce qui me semblait être quelqu’un qui m’observait : non, juste un portail, le numéro 555. A partir de là, mes doutes ont disparus. J’étais devenue la cible du 55.

Il s’immisçait partout, dès qu’une possibilité s’offrait à lui. Je l’ai subi d’une manière ou d’une autre durant 5 mois, jours après jours :
trop de mails reçus à x heure 55 ; une commande de surgelés passée par téléphone, et l’opératrice de me dire « ça vous fera 55 euros 60 centimes ! » ; un ticket pris pour faire la queue à la poste, le 55 ; monter sur ma balance, consciente d’avoir un peu grossi : effectivement, 3 kilos 500 en plus : 55 kg 500, etc.

Et cette heure que je regardais toujours à 55 minutes …

Je fus tout d’abord décontenancée par ces intrusions, inquiète de ce hasard qui n’en était plus un, puis agacée, dans le questionnement suivant : que me veut ce nombre ? Y avait-il une quelconque signification derrière ceci ? Laquelle ?

Alors, puisse que lui m’observait, faisait tout pour que je le remarque, je décidais d’en faire autant. C’est devenu ma quête durant ces 5 mois. Une quête assez inavouable à vrai dire.
Qui aurait pu comprendre que je parte à la chasse du 55 sans me soupçonner de perdre totalement pied avec la réalité, d’être dans l’irrationnel proche de la folie ? Alors j’ai gardé secrète cette quête au goût un peu honteux.

Petit à petit, plutôt que de n’être que tributaire de son bon vouloir dans ses manifestations, pour le comprendre, je le cherchais, le traquais sans relâche pour savoir qui il était, pourquoi ses attaques incessantes. Pour commencer, dans mon environnement proche. Tout était prétexte à le retrouver : un pot de confiture aux airelles ? Sur l’étiquette : 45 % de sucre. Mais alors, et le reste ? 55 % de fruits évidemment !
Puisse que je n’avais aucune idée de ce qu’il pouvait y avoir derrière le masque du 55, je décidais de mener mes investigations sur tous les champs possibles. Je dirigeais mes recherches vers les mathématiques, ce qui me semblait la première chose à faire pour un nombre :
1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 6 + 7 + 8 + 9 + 10 = 55

Et la boucle est bouclée ! Donc, un rond ? Non, plutôt le début d’une spirale, 10 n’étant pas 1.
Le nombre 55 donne un cycle narcissique à 3. 55 pourvoyeur de narcissisme au nombre 3 ? Ou 55 utilisant le 3 pour son cycle narcissique ?

Cela me fit penser au parfum d’un homme, Fahrenheit de Dior, et son étrange publicité, un spot de Ridley Scott des années 80. La coque en bois d’un voilier sur calles, échouée dans un désert, à une heure du jour qui n’existe pas, un soleil écrasant de chaleur dans un ciel proche de la nuit jouant avec les ombres. C’est un temps « entre ».

Un homme caresse une falaise aux arêtes blessantes en insistant sur les renfoncements de la roche, puis caresse un galet rond, chargé de poussière et ruisselant de lumière. On entend alors une voix masculine faire ce décompte : fifty five ... three. L’homme lance le galet qui rebondi deux fois dans des trous d’eau pour atterrir la troisième fois sur une mer de mirage qu’il crée par sa chute. Le voilier apparaît, élancé, phallique, enfin mâté d’une voile blanche, sur cette nappe d’eau lisse.

Un songe alors ? Un mirage mêlant suggestion, désir de changer notre réalité de désert d’humain par nos rêves de puissance, de sensualité, de sexualité accomplie, et absences qui accentuent nos désirs.

Je revins aux mathématiques. Tout d’abord dans la suite de Fibonacci, qui introduit les mathématiques arabes en occident et dans laquelle 55 s’invite : 1 2 3 5 8 13 21 34 55 89 144 233…
puis
Le nombre 55 est partagé en moyenne et extrême raison : les 2 rapports 1,617 et 1,619 encadrent le nombre d’or Fibonacci, Alberti, Dürer et Fra Luca Pacioli en redécouvrant les études d’Euclide, de Pythagore, de Platon et de Vitruve, montrent l’importance des mathématiques dans la quête du secret de l’Univers.

Le nombre 55 est partagé en moyenne et extrême raison ? Donc ce serait un nombre mesuré, tempéré, tout en sérénité ? Ses intrusions en nombres et désordonnées dans ma vie me laissaient à penser que non. Mais je m’efforçais à ne pas me laisser aller à de trop rapides jugements. J’attendais la suite. 

D’autres études au 19e siècle confirment que de nombreuses espèces (fleurs, fruits, légumes) telles que les marguerites, ont 34, 55 ou 89 pétales … toujours la suite de Fibonacci. Un certain botaniste allemand du 17e, Hofmeister, après étude du processus de croissance sur une pomme de pin, en a déduit que ces nombres, dont le 55, explique l’Universalité des spirales des plantes. Rien que cela !

55 aurait donc des travers botanistiques à se coller en pétales sur les marguerites ? Un 55 fleur bleu voyeur, complice de l’effeuillage « je t’aime, un peu, beaucoup, … » ?

Et toujours ces spirales …
Ou encore :

Nombre de Kaprekar naturel : Liste des premiers nombres de Kaprekar naturels en base 10 :
1, 9, 45, 55, 99, 297, 703, …
A nouveau un cycle en spirale …

Plus je poussais mes recherches sur le versant du rationnel scientifique, plus l’indéchiffrable s’imposait à moi, alors que de son côté, 55 continuait ses incursions dans ma vie et mon esprit.

Dans un ouvrage de 1828, le « Bulletin universel des sciences et de l’industrie - par la société pour la propagation des connaissances scientifiques et industrielles », je lisais au hasard des pages : « s’il en était besoin, nous pourrions citer encore, comme n’étant rien moins que prouvée, la substitution faite par Ptolémée, du nombre 55 au nombre 54 ; car le nombre 55 convient très bien à la place où il se trouve». Mais que vient faire Ptolémée l’astrologue dans tout ce bazar ? De quoi se mêle-t-il celui-là avec sa théorie de l’anti-terre et autres considérations sur la musique des sphères ? Une chose est sûre. Si le nombre 55 est très bien à la place où il est, et bien, qu’il y reste, au lieu de jouer au con à m’envoyer régulièrement des messages retours à mes mails : Unknown address error 550 ! 

Il y avait aussi, parfois, du grand, quelque chose de virtuose, de la magnificence dans 55 : la caisse de résonance d’un stradivarius ? 55 cm de haut exactement ! Pas un de moins, pas un de plus.

Du minable, du malsain :
Jyoti Amge, 15 ans, mesure 55,88 centimètres. Elle est la plus petite femme du monde.

De l’attrape-couillon :
Site : le mur des Entrepreneurs : 55 555 Euros à gagner

Sur une page de recherche avec le mot « ami 55 », je lis :
histoire générale et impartiale des erreurs, des fautes, et des crimes commis …

Console-toi de ce 55 retard, PEUPLE ami de Marat, Les com 55 plots de ceux qui ne t’aimaient pas, de 55 ceux qui curieux de la gloire, sans 55 imiter

Cela devenait surréaliste, trop obscur. Avant de comprendre en ouvrant le lien, qu’il s’agissait d’un paragraphe retranscrit d’un livre ancien révolutionnaire et que les 55 n’étaient que des guillemets.

Je piétinais, et cela m’exaspérait.

Le 55, quant à lui, continuait son petit bonhomme de chemin d’envahisseur inquiétant de ma vie. Il avait aussi intensifié ses attaques.

Malgré tout, il était parfois discret, très discret, certainement pour être mieux désiré, me laissant dans un état d’inquiétude et de manque. Ces jours-là, il n’apparaissait qu’en toute fin de soirée. Je ne pouvais m’empêcher de lui sauter dessus : « Ce n’est pas trop tôt ! Je pensais t’avoir perdu. Ne le laisse pas dans cette incertitude. Où étais-tu tout ce temps ? » Peine perdue, je n’obtenais aucune explication.

Le plus souvent, je ne le trouvais pas très subtil à apparaître à tout va. Je lui disais alors « oui, oui, je sais que tu es là. J’ai t’ai vu », allant même jusqu’au cabotinage, comme 3 numéros d’appels sur mon portable et une carte de visite contenant au moins un 55 dans la même journée. Il m’a déçue cette fois-là. Sous-estimait-il mes facultés à le voir ?

Il se faisait aussi taquin, voire complètement décalé. Comme lorsque je poursuivais mes investigations vers les mesures. 55 cm, sur Google. Pour tomber en premier sur un échange digne des plus obscurs codes secrets entre Exquise-Marquise et Ahleeya :

- Y'a le modèle Penna mid-calf qui aurait été la meilleure option, mais évidemment, il ne reste que du 48 cm
- Je pense qu'on peut grignoter 1 à 2 cm max.
- Alors en fait avec l'élastique sur le coté en l'étirant au max ça va jusqu'a 55 cm ... je pense quand même que pour 50, 53 c’est mieux l

Echange à vous mettre définitivement la coiffe à l’envers lorsque vous apprenez qu’il s’agit de réponses à la question existentielle et urgente de Maree, Montréal :

« un mollet de 55 cm peut-il rentrer dans une botte duo ? ».

Malheureusement, nous n’aurons pas le fin mot de l’histoire. Maree, qui avait « hâte d’avoir une reply » de la part du fabricant bottier, ne nous donne plus de ses nouvelles. Serait-elle partie, en duo, avec le chat botté ?

Parallèlement à mes recherches et à ses intrusions, je plongeais petit à petit tout le déroulement de ma vie dans ce nombre.

Par exemple, à l’écoute d’un morceau, « Nous n’avons fait que fuir » de Bertrand Cantat, je me suis rendu compte que le morceau durait 55 minutes et revendiqué, quasiment, comme tel. Il était écrit partout : ce long poème de 55 minutes, etc. Pas « ce long poème d’une heure ». Non, 55 minutes.

Je me suis alors créé une playlist spéciale de morceaux 55, 3 :55, 6 :55, etc. que je me passais des heures entières pour mieux m’enivrer de sons, de mots, de mélodies, qui, au final, s’entrechoquaient, se bousculaient dans un tournis sans fin au point de perdre tout sens, toutes saveurs. Ces morceaux s’accidentant dans une ronde infernale, je ne les appréciais plus, je ne les détestais pas. Je les subissais. En boucle. 

« Mais dans le cercle alors,
On pourrait s’immoler sur des cimes vertiges,
Pas pour tourner en rond,
Comme on le croit parfois,
Non…
Pour créer des spirales,
Des colonnes aspirantes,
Et je tiens mon pégase
Je ne le lâche pas,
Je l’ai monté à cru,
Il est aussi sauvage que je suis devenu,
Après avoir appris l’alphabet pourrissant,
Des grands calculateurs,
A hauteur d’escabeau,
A ras des certitudes attablées,
A quoi bon ?! »

Nous n’avons fait que fuir - Bertrand Cantat

Et à nouveau les spirales, cette impression vertigineuse de ne pas en sortir. Ce sentiment fut renforcé par l’écoute à la radio d’un morceau de Charlotte Gainsbourg, 5 :55

Comme une bête attendant sa confiance                            
allongée ici, tuant le temps                                        
au plus profond de la nuit                                           
là ou temps et espace se figent                             

cinq cinquante-cinq                                                 
cinq cinquante-cinq

à cinq heures cinquante-cinq                    
jamais rien ne changera                                          

sur l’autel de mes pensées   
je me sacrifie encore et encore et encore

cinq cinquante-cinq                                                  
cinq cinquante-cinq

like a beast awaits its faith                            
laid here with time to kill                                           
the very dead of night                                               
where time and space stand still                               

five fifty five                                                   
five fifty five

at five fifty five                       
nothing will ever change                                           
on the altar of my thought     
I sacrifice myself again and again and again

five fifty five                                                   
five fifty five


Dans cette immersion dans 55 en vivant ce nombre, à l’instar de la musique, je fis de même avec mes lectures. Je pris l’habitude de choisir un livre au hasard dans ma bibliothèque, non pas pour son contenu, mais pour le titre, si possible évocateur, et lire la page 55 dans l’espoir de trouver une quelconque signification tangible, en mots, à tout cela. Je ne trouvais rien, ou presque. Des bribes peut-être, parfois.

Mais c’était devenu un rituel. Un jour. Un livre. 
La nausée - Sartre :
Si jamais je devais faire un voyage, il me semble que je voudrais, avant de partir, noter par écrit les moindres traits de mon caractère pour pouvoir comparer, en revenant, ce que j’étais et ce que je suis devenu.

J’étais donc embarquée dans un voyage ? Mais lequel ? Et pour arriver dans quel état ?

Les racines du mal - Maurice G. Dantec :
Le téléphone
Le téléphone sonnait toujours.
Il avait l’impression que cela faisait des heures que ça sonnait.

La peste - Camus :
- Je ne sais pas comment dire, mais j’ai l’impression, voyez-vous, qu’il cherche à se concilier les gens, qu’il veut mettre tout le monde avec lui.

Je suis d’ailleurs - H.P. Lovercraft :
Il parlait tout le temps de la mort, mais il avait un grand rire caverneux lorsqu’on évoquait devant lui, le plus délicatement possible, des choses telles que l’enterrement ou les dernières dispositions.
En fin de compte, il devenait un compagnon plus que déconcertant, macabre. 
Certains jours, il avait l’esprit d’un diablotin en manque de farces :

La promesse de l’aube - Romain Gary :
Il me regarda attentivement, après quoi, sans hésiter, il se mit à me lécher la figure.
Je n’avais aucune illusion sur les mobiles de cette soudaine affection. J’avais encore des parcelles de gâteau de pavot répandues sur mes joues et mon menton, collées par mes larmes. Ces caresses étaient strictement intéressées.

Chroniques de la haine ordinaire - Pierre Desproges :
En réalité, je ne te souhaite ni ne te veux rien.
Je tiens seulement à ce tu saches, Al Capone de poubelle, Mandrin de mes couilles à condition qu’on me les coupe, je veux seulement que tu saches que toute la famille se joint à moi pour te prier d’agréer l’expression de mon profond mépris.

Cette page tomba à point nommé, collant parfaitement avec mon état d’esprit du moment : haineux, chargé d’une nette envie de revanche prochaine. 
Mais le lendemain, un autre livre me fit recouvrir la raison.

Pour qui sonne le glas - Hemingway :
- Les tuer, ça ne leur apprend rien, dit Anselmo. On ne peut pas les exterminer tous ; plus on en tue, plus il en repousse, et toujours plus haineux. La prison, ça ne sert à rien. La prison ça ne fait que de la haine. Il faudrait que tous nos ennemis s’instruisent.

Oui, cela valait mieux. Il n’y a jamais de vainqueur dans une guerre, fut-elle psychologique.
Le temps passait, les messages pages 55 aussi, à la manière des dictons du jour, inégaux, et perdants petit à petit leur saveur …

Le cycle angoisse 1 - Serge Brussolo :
Il disait cela en l’air, pour donner à David l’illusion qu’ils allaient se revoir d’ici quelque temps, mais David savait qu’il n’en serait rien. On s’écrivait durant un mois ou deux, puis les lettres s’espaçaient. On ne savait plus trop quoi se dire. On finissait par oublier.

Malgré tout, vers la fin, un passage me fit l’effet d’un électrochoc :
Mr vertigo - Paul Auster :
Si on regarde quelqu’un en face pendant assez longtemps, on finit par avoir l’impression de se regarder soi-même.

Alors c’est donc vraiment cela ? L’illusion ? Et un avertissement : une invitation au narcissisme pour ne pas se perdre dans l’Autre ? Ou se perdre tout court dans cette quête.

Critique de la raison pure - Kant :
Mais lorsqu’une théorie a quelque solidité, l’action et la réaction qui semblaient d’abord la menacer des plus grands dangers, ne servent avec le temps qu’à en faire disparaître les inégalités, et, si des esprits impartiaux, lumineux et amis de la vraie popularité s’en occupent, à lui donner aussi bientôt toute l’élégance désirable.

Ce fut mon dernier livre 55 lu.
Il y a peu, j’ai reçu mail très clair m’invitant à la lutte pour les sans-papiers : 5.500 arrestations de complices de solidarité envers les sans-papiers, prochaine cible : c'est vous.

Désolée, 55 : moi, c’est fait. Il est temps de passer à quelqu’un d’autre.

Voilà, j’ai disséqué, dépecé, digéré, ce nombre. Je me le suis accaparé, distordu dans tous les sens pour connaître son sens. Je l’ai espéré tous les jours, redouté, attendu, haï cet envahisseur, apprivoisé cet ami. Je me suis apaisée à ses apparitions, énervée, emballée. J’en ai été charmée, révulsée, excédée. Il a rempli mes jours, a été ma seule motivation ces derniers cinq mois, ma seule préoccupation, mes seules joies et mes seuls tourments.
Mais pour avoir trop cherché, pour avoir trouvé trop de possibilités à cette invasion dans mon quotidien, je n’ai pas trouvé une réponse, mais mille, quelquefois en résonnances les unes avec les autres. Des liens de concordances qui se tissent, dans un dessein incohérent pour vous entrainer dans une course folle, une toile d’araignée en spirale macabre.
Et ce 55 qui prend plaisir à mettre un masque en tout, n’est qu’un nombre aux trop nombreux visages. Et de ce fait, il n’est rien, ni personne. Le néant. C’est là sa faiblesse.
Il suffisait de le comprendre.
Qu’il y a-t-il derrière le 55 ?

Le vide.

La dernière fois que je l’ai vu, c’était sous une photo, du côté de Gdansk en Pologne. La photo d’une vieille école, l’école « le nombre 55 » avec ces quelques mots :

« L'école primaire le nombre de 55 est toujours sur la rue de la Liberté ».

Alors oui, le nombre 55 est sur la rue de la liberté. Celle de se défaire de ses propres obsessions, nos labyrinthes intérieurs, et de toutes les dépendances que l’on nous fabrique. Et plus encore, de celles que l’on se fabrique.

Depuis quelques jours, je vois beaucoup le 44.
Je le guette celui-là. Il a beau être le chiffre de la renaissance selon certaines sources, il ne m’aura pas.


Nathalie McGrath



Ndl : toutes les données de ce texte sont réelles et vérifiables sur internet. Merci à G., moteur de recherche de son état, muse à ses heures perdues, pour son indéfectible disponibilité ; à Philip M., cigarettier, et Luigi L., caféinier, pour leur soutien moral.